Comme bien des besoins de base, l'alimentation a été appropriée par de grandes corporations où l'acte de se nourrir devient pour ces entreprises une façon de s'enrichir. Les profits engrangés par les grandes épiceries se font au prix d'une augmentation des inégalités sociales, alors que de plus en plus d'individus font face à l'insécurité alimentaire et rencontrent des obstacles grandissants à bien s'alimenter.
Pendant la pandémie, le prix des aliments a bondi, hausse justifiée par l'inflation générale. Or, le travail de plusieurs journalistes a permis de mettre en lumière les profits faramineux que ces grandes entreprises ont réalisés pendant cette période ; l'inflation générale avait finalement peu à voir avec cette hausse, mais plutôt l'avarice des actionnaires qui s'enrichissent sur la faim. Comment arrivons-nous à cette hausse du prix des produits d'alimentation, si celle-ci ne s'explique pas par des facteurs extérieurs ? Comment les épiceries contribuent-elles aux inégalités sociales ? C'est à ces questions que cherche à répondre ce dossier en explorant le fonctionnement des grandes épiceries bannières et le système de distribution qui les approvisionne.
Les deux premiers articles du dossier s'attardent spécifiquement à cet angle afin de dresser un portrait global de ce qui se cache derrière les étalages. À la suite du scandale des profits réalisés par les grandes épiceries pendant la pandémie, le Canada a tenté de mettre en place une législation qui a finalement abouti à un code de conduite volontaire et non contraignant. L'un des articles du dossier interroge d'ailleurs le manque de lois encadrant le secteur agroalimentaire, soulignant qu'une telle législation permettrait d'envisager l'alimentation non pas comme une marchandise, mais comme un droit fondamental pour toustes. Sur le plan environnemental, les épiceries participent grandement au gaspillage des denrées alimentaires, une problématique approfondie dans un des articles. Les épiceries reproduisent également les grandes dynamiques d'exclusion et de discrimination qui privent plusieurs franges de la population d'un accès équitable à des aliments de base. Le système de distribution actuel est basé sur des inégalités raciales qui s'exercent autant à l'échelle mondiale que locale – un article expose l'héritage colonial et capitaliste qui se poursuit aujourd'hui dans le système agroalimentaire. Un autre article révèle comment les travailleur·euses dans les épiceries doivent se contenter de conditions de travail précaires qui participent aux profits astronomiques générés par leur travail. De plus, un article se penche sur les obstacles dans les épiceries pour les personnes en situation de handicap. Or, des alternatives existent où des épiceries solidaires et sans but lucratif cherchent à offrir à la population des aliments abordables. Ce dossier met en lumière les multiples facettes – économiques, sociales et environnementales – du système alimentaire actuel, tout en ouvrant la voie à des pistes pour repenser nos épiceries comme des espaces de justice et de solidarité.
Un dossier coordonné par Valérie Beauchamp et Mélanie Ederer. Photos : Rachel Cheng (鄭凱瑤).
Avec des contributions de Amélie Côté, Dimitri Espérance, Jessica Dufresne, Vanessa Girard-Tremblay, Selma Kouidri, Simon Laplante, Ali Romdhani et Elena Solovyova.
Numéro en librairie le 8 décembre.
Photographe et consultante, Rachel Cheng (鄭凱瑤) travaille à l'intersection de la nourriture, de la race et de la durabilité. Elle a collaboré avec diverses organisations à but non lucratif dans les domaines de défense des droits et de l'intégration de l'antiracisme dans leur démarche. La nourriture est la perspective par laquelle elle interprète le monde et cherche à provoquer un changement.