Il fallait se défendre. L'histoire du premier gang de rue haïtien à Montréal


Maxime Aurélien et Ted Rutland, Il fallait se défendre. L'histoire du premier gang de rue haïtien à Montréal, Mémoire d'encrier, 2023, 263 p.
Fruit d'une collaboration entre Maxime Aurélien et l'universitaire et activiste Ted Rutland, Il fallait bien se défendre raconte l'histoire des Bélanger, le premier gang de rue haïtien de Montréal. L'essai prend la forme d'un récit écrit au « je » où Aurélien raconte sa jeunesse et comment il est devenu, sans trop s'en rendre compte, le chef d'un gang de rue.
Ayant grandi au cœur de la communauté haïtienne de Saint-Michel, dont ses parents sont des figures rassembleuses, Aurélien se retrouve jeune adulte sans famille au début des années 1980 alors que son père veuf le quitte pour New York avec ses frères et sœurs. L'appartement d'Aurélien devient alors le quartier général informel d'une bande d'amis partageant un vécu marqué par les défis de la pauvreté et du racisme, ainsi que diverses tactiques pour subvenir à leurs besoins – comme des vols par effraction. Habitués de subir constamment la violence sous forme de discriminations, d'insultes et de menaces racistes, les amis décident un jour de s'organiser pour riposter. Adoptant une tactique de défense de groupe, ils battent de leurs poings les racistes qui les insultent. De tels moments leur procurent fierté et exaltation : ils n'acceptent plus les menaces, ils se défendent et défendent leur place dans cette ville.
Mais de telles batailles finissent par faire les manchettes. Dès lors, qualifiés de gang de rue et ciblés par la police comme des criminels durs, baignant dans un milieu social offrant peu d'espace à des aspirations individuelles légitimes et faisant face à la violence liée à l'émergence d'autres gangs rivaux, Aurélien et certains de ses amis quittent les Bélanger tandis que d'autres, galvanisés par la répression policière et le visionnement de vidéocassettes du Parrain, s'engagent dans une criminalité plus sophistiquée.
Ce livre est exemplaire dans sa capacité à rendre compte des effets de la violence et du racisme systémique ordinaire. Aussi, au récit de Maxime Aurélien, déjà fascinant, s'ajoutent divers éléments d'information et de mise en contexte amenés par Rutland – lequel présente ses questionnements et constats théoriques dans l'introduction et l'épilogue. Nous invitant à renverser notre compréhension habituelle des gangs de rue, largement influencée par le récit des autorités que relaient les médias, les auteurs mettent en évidence le rôle joué par le racisme ambiant et la répression policière dans la consolidation de ces gangs de rue – un terme symptomatiquement appliqué exclusivement à la criminalité perpétrée par des groupes de jeunes racisés. Bref, cet ouvrage nous permet d'accéder à une version de l'histoire que nous entendons rarement, et il est en cela précieux.
Seule ombre au tableau : le souci de conserver quelque chose de l'oral dans le récit (qui fut rédigé par Rutland à partir d'entrevues avec Aurélien) donne parfois lieu à des difficultés de lecture.