Le 9 octobre 2025, le gouvernement de la CAQ présentait à l'Assemblée nationale un projet de loi omnibus : la « Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec ». Un texte que personne n'attendait, déposé de manière unilatérale, sans consultations préalables ni implication populaire significative. Un texte qui plane loin au-dessus des préoccupations quotidiennes que représentent la baisse du pouvoir d'achat ou la crise du logement. Bref, un numéro authentiquement caquiste.
Le PL1 serait appelé à devenir la « loi des lois », et reposerait sur trois grands principes : protéger, renforcer et rassembler. Des mots qui, sous l'épuisé et épuisant gouvernement Legault, ne présagent rien de bon. En effet, cette nouvelle articulation de l'arc laïcard-nationaliste-réactionnaire compte s'attaquer à plusieurs dispositions des Chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, et renforcer les aspects les plus controversés de la Loi sur la laïcité de l'État et la Loi sur l'intégration à la nation québécoise.
Accusée de menacer l'égalité femmes-hommes et la laïcité, la communauté musulmane est à nouveau dans le viseur du gouvernement. Le PL1 est un exemple parfait de ce que la sociologue Sara R. Farris appelle le fémonationalisme, c'est-à-dire l'exploitation et la récupération des thèmes féministes afin de mener des politiques racistes et ici, islamophobes. La constitution caquiste en profite aussi pour clamer son rejet du multiculturalisme canadien au profit d'un modèle d'intégration québécois distinct. C'est au nom du même modèle qu'on a tenté de réduire au silence Haroun Bouazzi ou Kim Thúy, qu'on nie le racisme systémique et qu'on soutient la Loi sur la laïcité de l'État. Quelle fierté !
Soucieux du « vouloir-vivre collectif », le PL1 propose de restreindre la capacité des organisations qui reçoivent des fonds publics à contester les lois du Québec devant les tribunaux. Tout aussi réjouissant pour la démocratie : le PL1 entend trouver un « juste équilibre » entre les droits individuels et les « droits collectifs de la nation ». Au risque de gâcher le suspense, il ne s'agira probablement pas de remettre en cause le sacro-saint droit de propriété privée mais plutôt de justifier certaines atteintes à l'encontre des groupes minorisés. Enchâssement du droit à l'avortement dans la Constitution contre l'avis des féministes et des juristes, manque total de considération pour la souveraineté autochtone… On pourrait longtemps poursuivre la liste de menaces potentielles sur les droits et les libertés contenues dans le PL1.
Que le projet devienne réalité ou non, les débats autour de la protection des « valeurs » et de « l'identité » du Québec vont s'intensifier. Le repli identitaire est une manœuvre désespérée d'un parti (et à travers lui, d'un système capitaliste) en crise, amer et revanchard qui prétend savoir « ce que c'est le Québec ». Ce sont pourtant les mêmes qui méprisent à longueur de journée les droits et les aspirations des travailleur·euses, de la jeunesse, des minorités ou des Peuples autochtones qui vivent au Québec.
Les valeurs d'une société ne se décrètent pas par une loi, fût-elle constitutionnelle. Elles s'incarnent dans des pratiques, des relations, des luttes. Face aux invocations hors-sol des identitaires, le mouvement social, lui, défend de manière concrète des valeurs de solidarité, de justice, et de mise en commun. Les services publics – le patrimoine de celles et ceux qui n'en n'ont pas – véhiculent des valeurs et des droits que le mouvement social protège lorsqu'il s'oppose aux politiques austéritaires dans l'éducation et la santé. Il en va de même pour le milieu associatif et communautaire, pour le droit du travail et pour l'ensemble des conquis sociaux. Le mouvement social défend des valeurs lorsqu'il s'oppose au génocide en Palestine, au racisme, au sexisme, à la transphobie, aux politiques extractivistes et coloniales, aux violences policières… À travers ses luttes et ses espoirs, il incarne le désir d'un autre Québec, traversé par des valeurs et des identités radicalement différentes à celles de Legault, St-Pierre Plamondon ou Bock-Côté. Face à nos adversaires réactionnaires, les positions timorées, les capitulations ou la politique de respectabilité sont autant de renoncements envers ces valeurs, qui sont pourtant les piliers de la société que nous souhaitons bâtir.
Le numéro sera disponible en librairie le 8 décembre.