Nous avons posé à différents groupes les deux mêmes questions : pourquoi y a-t-il de la pauvreté dans notre société et comment l'éradiquer définitivement ? Voici leurs réponses.
Mouvement Action-Chômage (Mac)
Le MAC est un groupe de défense des droits des sans-emploi. Il informe et défend les gens tout en visant la sauvegarde et l'amélioration du régime d'assurance-chômage.
Au Mouvement Action-Chômage de Montréal, on a un très gros parti pris pour les classes populaires. Depuis plus de 50 ans, on est de toutes les luttes contre la pauvreté, une pauvreté révoltante compte tenu de l'abondance et de la richesse produite à Montréal, au Québec et au Canada. Cette indigence est aussi absurde quand on sait qu'elle est le fruit d'une transgression crasse des droits humains, constamment bafoués. Rappelons qu'encore en 2024, des personnes ne peuvent pas manger à leur faim, se loger convenablement ou se déplacer.
Dans les bureaux du MAC de Montréal, on côtoie quotidiennement la cause profonde de cette pauvreté : le capitalisme. La pauvreté existe dans notre société parce que le système en a besoin pour se maintenir. Sans la pauvreté, il ne pourrait y avoir de riches qui s'approprient le fruit du travail collectif. En attendant que la main invisible du marché se manifeste enfin, les inégalités nourrissent la pauvreté qui le lui rend bien. Mais pourquoi se plaindre ? On nous assure que le travail c'est la santé, que ce sont les patrons qui prennent les risques pour faire fructifier le bien commun et que la richesse finira bien un jour par ruisseler vers le bas, à condition que tout le monde y mette du sien ? Ces idées ont largement infiltré la façon dont on gère les services publics comme la santé, l'éducation et les programmes sociaux tels que l'aide sociale et l'assurance-emploi.
Au MAC de Montréal, on voit aussi comment l'État peut être au service des patrons en gérant la caisse d'assurance-emploi – sans y mettre un sou – de manière que seule la moitié des travailleuses et travailleurs aient accès à leurs prestations quand ils ou elles en ont besoin. C'est évident pour nous que le patronat a besoin de la menace du chômage pour garder les travailleuses et travailleurs à leur poste. La justification pour un piètre programme social de remplacement de revenu est toute trouvée. Il ne faudrait pas être trop confortable… L'armée de réserve est essentielle au renouvellement constant du bassin de cheap labour sur lequel reposent des pans entiers de notre économie. Le régime actuel d'assurance-emploi est donc un outil de régulation de la main-d'œuvre pour s'assurer que les travailleur·euses prennent le premier emploi venu et restent bien ancré·es dans la pauvreté.
Endiguer la pauvreté est impossible dans notre organisation économique actuelle. La seule façon d'y arriver serait d'atteindre le plein emploi, une impossibilité structurelle à l'intérieur du capitalisme. En attendant le grand soir et un changement de paradigme profond, il nous reste à lutter pour un régime d'assurance-chômage décent qui donne un vrai revenu de remplacement en cas de perte d'emploi – pas seulement 55 % – qui s'assure que les personnes puissent faire une bonne recherche d'emploi pour trouver un emploi qui corresponde à leurs besoins, à leurs compétences et à leurs obligations. Un régime qui soit idéalement géré par et pour les travailleuses et travailleurs, pas par un État constamment au service du patronat.
Comité intersyndical Montréal métropolitain (CIMM)
Le CIMM est une table de concertation intersyndicale représentant plus de 400 000 travailleuses et travailleurs à travers les syndicats et les structures régionales de la plupart des organisations syndicales montréalaises.
Le Québec est traditionnellement présenté comme une société égalitaire, juste, dotée d'un filet social robuste et attentive aux besoins des plus précaires. Pourtant, force est de constater que les inégalités sociales et la pauvreté y font des ravages depuis longtemps, et plus particulièrement ces dernières années. Après des décennies de néolibéralisme, nous sommes moins bien outillé·es que nous le croyions pour répondre à la crise du logement et à la montée galopante de l'inflation. Celles-ci touchent une proportion significative de la population ; nous en sommes même rendu·es au point où des travailleuses et travailleurs, parfois à temps plein et syndiqué·es, doivent avoir recours aux banques alimentaires. La situation actuelle est inacceptable et nous avons la responsabilité collective d'y faire face.
Contrairement à ce dont on voudrait nous convaincre, la pauvreté n'est ni inévitable ni naturelle. Elle est une conséquence du système socioéconomique au sein duquel nous évoluons et de l'inégale répartition du pouvoir politique au sein de la société. Il est donc possible d'y mettre fin : il s'agit d'avoir la volonté, le courage et la créativité politiques, ainsi que la mobilisation sociale pour y parvenir. Évidemment, une telle chose est plus facilement dite que faite. On peut imaginer que les bénéficiaires des injustices actuelles résisteront à des changements qui mettraient en péril leurs privilèges. Ceci complique l'affaire, mais ne la rend pas irréalisable.
Dans les faits, il serait possible de pourvoir aux besoins de toutes et de tous. Pour y parvenir, il faudrait répartir la richesse d'une manière égalitaire. Or, cet objectif est profondément opposé à celui du système capitaliste, qui carbure aux inégalités et à la concentration de la richesse aux mains d'une minorité, d'ailleurs de plus en plus infime.
S'ajoute à cela que la répartition du pouvoir au sein de la société reflète de manière assez rigoureuse celle de la richesse : autrement dit, que les personnes qui disposent du pouvoir sont celles qui bénéficient des inégalités socioéconomiques. La surreprésentation des riches à l'Assemblée nationale et au gouvernement l'illustre très bien, de même que l'influence démesurée des corporations sur notre vie politique et sociale.
Il serait naïf d'espérer que des gens qui profitent du statu quo fassent quoi que ce soit pour le changer. S'ils peuvent admettre quelques mesures cosmétiques qui apaisent leur conscience et flattent leur image, jamais ils ne mettront réellement en péril leurs privilèges et les inégalités sur lesquelles ceux-ci sont fondés. Pensons par exemple au projet de loi 31 sur le logement, qui favorise outrancièrement les propriétaires ; au refus du ministre de l'Éducation de reconnaître l'école à trois vitesses ; aux baisses d'impôts successives décrétées par la CAQ ; aux subventions gigantesques octroyées à des multinationales pour les inciter à s'établir ici : chacune de ces décisions récentes de la CAQ manifeste son biais en faveur des riches ou son refus de mettre en place des mesures systémiques et structurantes pour lutter contre les inégalités sociales.
Face à ces constats, nous sommes d'avis qu'il ne faut pas baisser les bras. Mais il ne faut pas non plus sombrer dans l'angélisme : jamais nous ne convaincrons les profiteurs de mettre fin à une situation dont ils bénéficient. La société est traversée de rapports de force qui jouent actuellement et depuis longtemps à l'avantage des riches et des puissants : c'est sur ce plan que nous devons mener la lutte contre la pauvreté, l'injustice et l'exclusion sociale. Comme syndicalistes, nous avons la conviction que c'est par la constitution d'un rapport de force puissant, unitaire, démocratique et inclusif que nous y parviendrons. C'est donc en ce sens qu'il faut travailler : travailler à l'éveil de la conscience populaire et rallier les forces vives de la société civile et tenir tête aux riches et aux puissants afin que la population se gouverne par elle-même, libérée de l'oppression et de l'injustice. C'est là notre seul espoir de vaincre durablement les fléaux de la pauvreté et des inégalités sociales.
Collectif Emma Goldmann
Le Collectif Emma Goldmann est une organisation anarchiste/autonome active à Saguenay, sur le Nitassinan
Pourquoi, sur Terre, des personnes meurent-elles de faim alors qu'il y a une surproduction de nourriture ? Elles meurent simplement parce qu'elles n'ont pas les moyens d'acheter de quoi se nourrir.
Pour les capitalistes, tout est marchandisable – des aliments à l'habitation – et ce, indépendamment des droits de la personne. Pire, l'humain ne représente qu'une ressource parmi tant d'autres. Une ressource dont on peut disposer à volonté (compression, fermeture, délocalisation) et ce, indépendamment des conséquences sur les individus et les communautés. Après tout, le but est de maximiser le profit et non de travailler pour le bien commun.
Une infime minorité d'individus possèdent les moyens de production, tandis que l'immense majorité des gens ne possèdent que leur force de travail à offrir en échange d'un salaire. Dans les mots du Collectif Mur par Mur :
« Le travail tel qu'il s'instaure et se généralise avec le capitalisme est fondé sur l'organisation de la dépendance matérielle à travers la privation des moyens de production et le commerce de la subsistance […] Il faut d'abord avoir été dépossédé de tout moyen d'existence pour être obligé de vendre sa force de travail à un patron en vue de recevoir un salaire pour ensuite acheter des marchandises afin de survivre. [1] »
Comment en finir avec la pauvreté ? Le plein travail ne règle pas à lui seul la question de la pauvreté ; loin de là.
Le capitalisme est un système violent et mortifère. Au-delà des limites inhérentes à une planète aux ressources limitées, l'économie capitaliste, même lorsqu'elle roule à plein régime, laisse une part significative d'individus jugés non productifs, non compétitifs ou excédentaires sur les lignes de côté.
Aujourd'hui, nous subissons les contrecoups de l'inflation. Demain, ce sera la récession ou la stagnation économique qui entraîneront leurs lots de misères, d'endettement et de pauvreté. Ces crises sont inhérentes à l'économie capitaliste.
Nous croyons, à l'instar du philosophe et écrivain John Holloway, que « L'impératif n'est […] pas de construire le parti en vue de la prise du pouvoir, mais recréer de l'autonomie là où celle-ci a été détruite par l'intermédiaire mortifère engendré par le marché mondialisé. [2] »
C'est donc ici et maintenant qu'il faut créer des fissures dans le système, par nos résistances, nos rébellions. En réhabilitant le commun, en créant comme l'appelle Holloway, des brèches. Que ce soit une occupation, un piquet de grève, derrière une barricade dans un chemin forestier, etc. Ces moments sont des brèches portant un nouveau rapport au temps où les rapports de domination sont brisés pour en créer d'autres.
[1] Collectif Mur par Mur, Pour un anarchisme révolutionnaire, Les éditions L'échappée, 2021.
[2] Holloway, Crack capitalism : 33 thèses contre le capital, Libertalia, 2016.
Illustration : Anne Archet