
Jean-Félix Chénier et Yoakim Bélanger, Résister et fleurir, Écosociété, 2023, 171 p.
Que sont devenues nos luttes depuis 2012 ? Où en sont les mouvements sociaux aujourd'hui ? Voilà des questions qui préoccupent plusieurs d'entre nous. Résister et fleurir, la bande dessinée du politologue Jean-Félix Chénier et de l'artiste Yoakim Bélanger, permet d'entrevoir des éléments de réponses et de documenter la force des mouvements sociaux émergents.
En pleine pandémie, Chénier doit enseigner à distance au Collège de Maisonneuve son cours intitulé « Pensées et cultures politiques ». Où trouver l'espoir de la transformation sociale quand tout s'arrête ? semble se demander l'enseignant. En nous invitant à pénétrer dans son quotidien pédagogique, cette BD nous fait découvrir comment il a amené ses élèves à explorer le potentiel politique que recèle l'univers des utopies et des dystopies, au cœur du cours.
Résister et fleurir mobilise le bagage intellectuel et les réminiscences liés à une série d'œuvres de fiction, rendues populaires grâce à différents supports : livre, cinéma, télé, peinture, etc. Les aquarelles de Yoakim Bélanger décuplent le pouvoir évocateur de ces œuvres, mobilisées afin de mieux se saisir du langage critique généré par les utopies ou les dystopies.
Le chapitre le plus important concerne le moment où le cours se déplace in situ, plus exactement sur le territoire qui est au cœur d'une lutte citoyenne menée dans Hochelaga-Maisonneuve, pour la préservation d'un des derniers grands espaces verts de l'Est de Montréal. Le destin de cette terre en friche où la nature a repris ses droits est menacé par une dystopie, celle de la croissance ininterrompue de la production et des profits. Le livre fournit des pistes de compréhension de la lutte menée par Mobilisation 6600 Parc nature MHM et par Mères au front à l'aide de plusieurs notions de sciences sociales comme les communs, la décroissance, l'écoanxiété, la dialectique sphère privée/sphère publique… Le combat pour épargner cette Zone à défendre (ZAD) permet de saisir les jalons de l'apparition d'une utopie à la fois significative et porteuse pour le quartier. « Le paysage est politique », peut-on lire. Résister et fleurir propose de déconstruire le regard qu'on pose sur le monde. Il nous dit de refuser de voir un vulgaire terrain vague là où s'épanouissent la nature et la vie. Le silence aussi a une grande valeur ; il est partie prenante des communs lorsqu'on choisit collectivement de cesser d'externaliser les coûts de la pollution sonore. Le silence est la condition permettant d'apprécier le chant de l'une ou l'autre des 140 espèces d'oiseaux peuplant ce parc en devenir.
Un mot sur la grande maîtrise des pinceaux par Yoakim Bélanger. L'aquarelle est une technique difficile, que l'artiste mobilise ici avec talent et succès. La beauté des planches ajoute beaucoup de lumière à ce récit consacré à un sujet qui peut paraître exigeant. Le travail pictural dans son ensemble cherche à dépeindre un maximum de sensibilité chez les protagonistes de cette belle aventure citoyenne, notamment les personnes étudiantes, les activistes, l'enseignant et le site à protéger.