Quand la mort est affaire de classe

30 juin 2025 | Jean-Yves Joannette

« N'oublions pas mes bien chers frères que nous sommes tous égaux devant la mort ». Il m'énerve.

Ce sont ses dernières volontés, alors, il faut endurer. Elle voulait un prêtre. Avec ses économies, elle s'est payé un prêtre. Elle voulait être embaumée et exposée, mais comme c'est dispendieux, elle s'est payé une petite boite pour monter aux cieux. Il faut ménager ses transports. Elle était contente d'avoir fait ses arrangements funéraires. J'ai souvent trouvé les joies de ma mère incompréhensibles.

Je jette un coup d'œil à la parenté rassemblée. C'était la dernière des grands-tantes. Même ceux qui ne la voyaient plus sont venus. J'ai ma face de carême. Pour ne pas leur parler trop longuement, je me cache dans ma douleur. Personne ne comprend, je suis un incompris, tant mieux.

J'imagine qu'elle voulait un prêtre pour les prières. Lui, il s'est imaginé qu'il lui fallait parler. Nous sermonner un peu. Être prêtre est un métier en voie de disparition, il veut nous montrer son utilité, peut-être même nous rallumer la flamme avant que ma mère soit incinérée.

Ce prêtre n'est pas méchant. Juste un peu trop curé. Il parle de « l'égalité devant la mort ». La belle idée ! C'est aussi vrai que l'égalité des chances ou l'égalité homme-femme. L'égalité devant la mort et « poussière tu redeviendras poussière ». La mort comme un grand sac d'aspirateur. Tout le monde a l'air d'y croire.

Je ne connais pas la majorité de mes cousins et cousines, et encore moins leur progéniture. Cela doit être la douleur. Je les regarde avec des préjugés. Je suis certain qu'au moins la moitié aurait signé la pétition pour empêcher l'arrivée d'un cimetière musulman à Saint-Apollinaire égaux devant la mort, mais pas dans ma cour. Je suis en colère, contre la vie, contre la mort. Cela doit être la peine.

« Tous égaux devant la mort ». Il le répète, il le répète à l'infini et cela me donne une idée de l'éternité.

J'ai envie de l'interrompre. De lui parler d'un humain mort de froid sur le chemin Roxham, d'une trans battue à mort, d'un ado qui a reçu une balle dans le dos, des femmes autochtones abandonnées au bord des routes, j'ai des tas d'exemples qui me défilent dans la tête.

« Égaux devant la mort ». Il y a une circonscription fédérale qui a uni Saint-Henri avec Westmount. L'écart de l'espérance de vie est de 10 ans. Le seul moyen qu'ils ont trouvé pour rétrécir cet écart a été de « gentrifier » Saint-Henri.

Il a fini. La cérémonie est finie. Je dis merci.

Une cousine qui survit en faisant des ménages me tend sa main calleuse et me dit combien elle aimait ma mère. Elle me touche. Un cousin qui a « trop » réussi dans la vie m'offre ses sympathies. Je souris.

Je regarde ma mère, je l'imagine à l'étroit dans sa petite urne, elle qui ne sortait jamais, qui vivait recluse, la voici qui sort en boite… enfin, je me calme. Un jour, nous serons égaux « dans » la mort.

Jean-Yves Joannette est ex-coordonnateur de la Table régionale des organismes volontaires d'éducation populaire (TROVEP) de Montréal.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Racines au carré, 2002, Œuvres parisiennes.Pellicule d'acrylique sur toile, 110 x 120 cm

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