Chevalier, Barbie.... et Richelieu : Le cinéma des bonnes intentions

12 août 2025 | Claude Vaillancourt

Certains films, portés par de bonnes intentions, devraient spontanément susciter l'adhésion par les valeurs qu'ils défendent. Tout le monde sait cependant que l'appui à des causes justes n'assure en rien la qualité d'une œuvre. Deux films hollywoodiens récents, Chevalier et Barbie, en sont de bons exemples.

Chevalier de Stephen Williams s'appuie sur une excellente idée : raconter l'histoire de Joseph Boulogne, chevalier de Saint-Georges, né esclave à Saint-Domingue d'un père français et d'une mère de descendance africaine, qui s'est hissé dans les plus hautes sphères de la société française grâce à ses talents extraordinaires comme escrimeur, musicien et militaire. Un personnage fascinant, donc, qui a affronté de forts préjugés racistes et qui a laissé derrière lui une œuvre musicale digne d'intérêt.

Bien qu'on l'ait oublié pendant de longues années, comme plusieurs compositeurs de son temps par ailleurs, Saint-Georges suscite un intérêt nouveau, tant par sa destinée singulière que par la volonté des ensembles musicaux d'ajouter ses compositions au répertoire musical du XVIIIe siècle. Si bien que la documentation à son sujet ne manque pas et qu'on en sait beaucoup sur sa vie et son époque, ce dont n'ont toutefois pas semblé tenir compte le réalisateur du film et sa scénariste Stefani Robinson.

En effet, les affronts à la réalité historique abondent : anachronismes, invraisemblances, invention d'événements qui ne se sont jamais produits, etc. Le vrai Saint-Georges doit s'effacer devant ce qu'on a fait de lui. Lorsqu'il prend son violon, il ne joue même pas ses compositions, mais une musique sirupeuse d'aujourd'hui, moins bonne que la sienne, dans un style irrecevable. Ses talents d'escrimeur, auxquels il devait sa renommée autant qu'à la musique, sont beaucoup trop escamotés.

Mais surtout, ce film, comme trop souvent dans le cinéma, refuse de se plonger dans le passé. Le XVIIIe siècle décrit dans Chevalier ressemble en tous points au monde d'aujourd'hui : le racisme, les relations familiales, la création artistique, l'expression de la colère et des émotions, tout cela se vit comme si les mentalités étaient les mêmes depuis plus de deux cents ans. En fait, le seul changement marquant est que les gens portaient de drôles de costumes et d'étranges perruques.

Cette méconnaissance profonde de l'époque et ce refus fondamental de chercher à comprendre la France prérévolutionnaire viennent ainsi bousiller les bonnes intentions initiales. Sensibiliser le public au racisme et faire renaître un personnage particulièrement inspirant en faussant la réalité ne sert aucune cause. Le racisme d'aujourd'hui se comprendrait mieux si on acceptait d'en examiner les racines et d'en suivre l'évolution. Et le pauvre Saint-Georges, tellement malmené dans cette histoire, en sortirait plus fort si on ne le montrait pas autant en victime, mais en personnage qui, en vérité, a su remarquablement s'imposer et vaincre les préjugés.

Barbie et le cinéma indépendant

Il est bien connu que le film Barbie porte un message féministe explicite. Étant produit par la puissante compagnie Mattel, dont l'objectif ultime est de vendre davantage de ses poupées et de ses produits dérivés, il devient évident que ce choix relève d'une importante stratégie de marketing.

Celle-ci n'est pas sans intérêt. Elle révèle que dans un pays politiquement divisé comme les États-Unis, Mattel a fait le pari qu'un point de vue progressiste et féministe serait mieux pour ses ventes que de tenter une difficile neutralité ou de pencher du côté conservateur. Cela vaut aussi pour les nombreux autres pays où se trouvent d'importantes clientèles de la compagnie. Selon les conclusions de ses expertes, Mattel s'assure ainsi de vendre davantage de ses produits à son public essentiellement féminin et préoccupé par son émancipation. La firme parvient aussi à déjouer un certain discours féministe accusant Barbie de donner l'image d'une femme-objet, consommatrice, blonde stéréotypée, aux proportions invraisemblables.

Mattel a aussi fait le choix audacieux d'engager une cinéaste provenant du cinéma indépendant, Greta Gertwig, qui a réalisé des films d'une grande qualité (Lady Bird et Little Women). Elle a écrit le scénario avec Noam Baumbach, qui vient de la même école, lui aussi réalisateur de films remarquables (Frances Ha, Marriage Story). La présence de ces deux personnes ajoute à Barbie un label de qualité. Par contre, on peut aussi se demander pourquoi ces artistes ont embarqué dans une telle galère, et s'iels n'ont pas vendu leur âme au diable…

La stratégie de Mattel

Le film Barbie posait de prime abord sa part de difficultés. Comment faire du cinéma respectable avec une poupée sans histoire, dont les aventures sont celles que les petites filles inventent en jouant avec elle ? Comment cette œuvre, produite par la compagnie qui fabrique la poupée en question, pouvait-elle faire semblant d'échapper à sa véritable destinée, celle d'être aussi une longue publicité pour Barbie ?

La firme fait une habile diversion en intégrant dans son histoire les critiques que l'on formule à son égard : une adolescente exprime de sévères reproches contre la poupée (ceux que j'ai exprimés plus haut) ; le conseil d'administration de la compagnie, de façon caricaturale, est uniquement masculin ; on va jusqu'à mentionner la puissance des corporations et leur tendance naturelle à tenter d'échapper à l'impôt. En apparence, donc, la firme n'est pas épargnée. Mais ces reproches semblent bien secondaires, laisse-t-on entendre, devant l'exploit d'avoir créé une merveilleuse poupée, un jouet révolutionnaire favorisant l'émancipation des femmes.

La diversion sera encore plus grande par l'orientation féministe du film. Dans la bonne vieille tradition manichéenne d'Hollywood, le monde féminin de Barbie, dans lequel s'épanouit une belle diversité d'individus, se trouve confronté à un brutal retour du patriarcat, qui montre à nouveau du muscle après que Ken ait découvert que dans le « vrai monde », les hommes dominent encore. L'opposition entre le féminin et le masculin se nourrit ici de stéréotypes et s'exprime par de gros traits qui offrent au jeune public du film une compréhension superficielle et rassurante des enjeux abordés. La morale de l'histoire est dite clairement, après qu'un putsch patriarcal ait été défait : chacun doit trouver son identité autonome… et les femmes ne doivent pas prendre toute la place, sinon les hommes vont se fâcher.

Dans ce film, les bonnes intentions tournent plutôt mal. Une vision simpliste du monde, même pour les enfants, et l'abus de stéréotypes servent mal le propos alors que dans le fond, c'est Mattel qui s'en sort le mieux. La firme a rendu encore plus visible son principal produit, dans un film très populaire, et s'est offert un beau succès commercial avec une gentille fable féministe (tout de même positive, n'oublieront pas certain·es).

Au-delà des bonnes intentions, Richelieu

Aux antipodes de ces deux grosses productions hollywoodiennes, Richelieu, de Pier-Philippe Chevigny, un film québécois avec un budget restreint et une diffusion plus que limitée en comparaison, évite totalement ce type de piège. Ici aussi, cette œuvre est motivée par de bonnes intentions : il s'agit ici d'exposer les éprouvantes conditions de travail de Guatémaltèques venus combler les besoins de main-d'œuvre temporaire dans une ferme québécoise. Mais jamais ces bonnes intentions ne l'emportent sur le réalisme, la rigueur du développement, la justesse du propos.

Film très bien documenté et alimenté de témoignages bien sentis, Richelieu émeut davantage en montrant sèchement la réalité : celle d'un système d'exploitation global dont les principaux maillons sont exposés. D'une part, on voit une multinationale avide de bons rendements, et d'autre part, il y a des travailleurs qui fuient une misère injustifiable dans leur pays pour connaître à peine mieux dans une entreprise agricole étrangère. La force de ce système est de ne rendre personne responsable, d'imposer cruellement sa logique froide, alors que les travailleurs, et même les petits patrons, s'échinent à le faire fonctionner, même s'il les détruit.

Une des grandes qualités du film est d'avoir choisi, comme personnage principal, une traductrice œuvrant auprès des travailleurs étrangers, une Québécoise d'origine guatémaltèque. Se trouvant entre deux feux, entre patrons québécois et employés guatémaltèques, elle découvre progressivement le fonctionnement d'un grand rouleau compresseur et fait ce qu'elle peut pour humaniser les travailleurs. Son regard devient aussi celui des spectateurs et spectatrices, dont l'indignation provient de ce qui est montré sans fard.

Les bonnes intentions s'effacent alors derrière des personnages qui vivent tout simplement, alors que le public, qui ne se sent pas pris par la main, en tire ses propres leçons. Une performance que ne parviennent pas à faire Chevalier et Barbie, malgré le spectacle éblouissant qu'ils offrent.

Illustration : Ramon Vitesse

 Site référencé:  À babord !

À babord ! 

Usurpations identitaires : Autochtones à la place des Autochtones
12/08/2025
De la Labatt Bleue, pour tout le monde
12/08/2025
L'antifascisme comme pratique quotidienne
12/08/2025
Université des mouvements sociaux à Paris
12/08/2025
Le 12 août, j'achète une revue québécoise !
12/08/2025
Il fallait se défendre. L'histoire du premier gang de rue haïtien à Montréal
17/07/2025