
Plus de 2 000 personnes provenant de dizaines d'organisations et de mouvements sociaux ont convergé à la fin du mois d'août au campus de Bobigny de l'Université de la Sorbonne Paris Nord. Elles venaient assister à plus de 200 ateliers, plénières et activités culturelles dans le cadre de l'Université d'été des mouvements sociaux et de solidarité (UÉMSS). Ces participant·es provenaient d'une trentaine de pays, et la délégation franco-québécoise comptait une vingtaine de personnes.
Du Québec, on dénombrait douze jeunes pour la plupart soutenu·es par Les Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ). Huit jeunes Français·es lié·es à l'Office franco-québécois de la jeunesse (OFQJ) se sont ajouté·es. Le Journal des Alternatives – Plateforme altermondialiste était associé à l'AQOCI et à Katalizo dans le but de participer à l'événement, d'y faire écho et d'accompagner la délégation. Leur mission : rendre compte des contenus des discussions. Il en résulte une trentaine d'articles, publiés sur le site alter.quebec. Un bulletin entier a été consacré à leur travail à la mi-septembre.
L'UÉMSS 2023 a été initiée par l'Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne (ATTAC), une organisation de 10 000 militantes et militants qu'on retrouve sur tout le territoire français, et par le Centre de recherche et d'information sur le développement (CRID), qui fédère des organisations de coopération et de solidarité internationale en France.
En France, les partis politiques, les associations et les mouvements sociaux profitent de la fin de l'été pour tenir des universités d'été. Celles-ci sont des exercices de formation et de réflexion sur l'année qui s'achève, mais aussi permettent d'envisager les luttes futures. Voici comment Ananda Proulx, de la délégation québécoise, explique l'université d'été des mouvements sociaux :
L'UÉMSS est un forum intergénérationnel et international qui vise à rassembler et à permettre la concertation des militantes et militants des réseaux, à créer une relève, à favoriser un apprentissage de manière horizontale qui s'inscrit dans une approche d'éducation populaire. L'UÉMSS favorise les échanges par l'intermédiaire d'ateliers, de plénières et de parcours sur différentes thématiques. Finalement, l'événement vise à favoriser l'intersectionnalité des luttes et leur convergence, ainsi qu'à promouvoir la solidarité internationale dans son ensemble.
L'étendue des préoccupations
L'événement se déroulant à Bobigny, une banlieue au nord-est de Paris, une place importante a été laissée aux luttes locales. Un atelier du collectif Saccage 2024 témoigne de la mobilisation face à l'impact des Jeux olympiques de 2024 sur les territoires de la Seine–Saint-Denis dont fait partie Bobigny. Des activités extérieures étaient également proposées aux participant·es pour leur permettre de découvrir le territoire et son histoire.
Au niveau national, les questions de précarité ont été abordées sous différents angles, notamment la problématique d'accès au logement et la dégradation des conditions d'accueil des personnes migrantes. La question de la violence d'État et du racisme systémique a également occupé une place importante dans les discussions. De nombreux ateliers ont alerté sur les atteintes répétées aux droits humains et aux libertés fondamentales, en France et partout dans le monde, en rappelant l'importance de défendre l'espace démocratique et les libertés. L'UÉMSS a également été l'occasion de mettre en discussion les modèles de société existants et les alternatives désirables pour les citoyen·nes du monde, que ce soit sur la question de l'énergie ou de l'intelligence artificielle dans le monde du travail.
Les échanges ont aussi permis d'identifier des enjeux similaires sur différents continents, ce qui invite à penser une réponse globale pour sortir du système capitaliste néolibéral pour nous orienter plus vers la décroissance. Les rencontres entre militant·es venu·es des quatre coins du monde a permis d'interroger les relations nord-sud, notamment la responsabilité des grandes multinationales comme Total Energies, les accords de libre-échange comme l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, ou encore les effets de l'évasion fiscale sur les inégalités.
En réponse à tous ces enjeux, la posture des acteur·rices de la solidarité internationale a été débattue, en mettant notamment la lumière sur les pratiques d'ingérence abusives et iniques de la part des États et des ONG à Haïti. Autant de discussions qui ont fait ressortir la nécessité de confronter nos responsabilités et décoloniser nos pratiques. La question des espaces, des modes d'action et des moyens d'apprentissage nécessaires pour favoriser une transformation sociale globale a également été abordée. À travers différents espaces d'expression artistique et culturelle, l'UÉMSS a permis de valoriser l'importance de la culture comme levier de changement. Les mobilisations syndicales ont également eu leur place dans les échanges, en lien avec l'importante mobilisation contre la réforme des retraites françaises en 2023.
Le principe de la co-construction
Dans une volonté de correspondre aux préoccupations des mouvements et d'approfondir une culture de pratiques démocratiques, les deux organisations à l'initiative de l'UÉMSS ont permis à d'autres réseaux et collectifs d'organiser leurs activités.
Par exemple, on retrouvait non seulement ATTAC et le CRID dans l'organisation des activités, mais aussi des groupes paysans, féministes, environnementaux, comme Les Amis de la Terre France, Alternatiba Paris, Plateforme Logement des mouvements sociaux, la Fondation Danielle Mitterrand, ainsi que des organisations de solidarité avec l'Amérique latine, Haïti, l'Ukraine, la Palestine, la Syrie, et autres points chauds des luttes anti-impérialistes sur la planète et les réseaux syndicaux Solidaires, FSU et CGT.
L'année 2022-2023 en France a vu la population se mobiliser massivement contre l'injuste réforme des retraites dans une unité du mouvement social inédite face à l'autoritarisme du pouvoir. Elle a aussi vu les populations les plus précarisées et stigmatisées se révolter face aux discriminations, aux violences policières et à la relégation sociale. Un nouveau conflit est né autour des projets de bassines [1], qui illustrent le déni et les contradictions des autorités et des pouvoirs productivistes en matière d'écologie. À cela s'ajoute un contexte international marqué par les interventions militaires et la progression de l'autoritarisme.
Ainsi, dans les salles comme dans les corridors, tous ces enjeux politiques essentiels étaient débattus. Non partisane, cette université populaire témoigne de l'importance de l'action et l'éducation politiques pour les mouvements. Dans son communiqué final, le comité organisateur de l'UÉMSS soutient que l'événement constitue une dynamique politique au service des résistances :
« En faisant dialoguer des organisations très diverses, l'UEMSS reste cet espace de convergence et de construction d'alliances (…) pour imposer et faire vivre des alternatives répondant aux besoins de l'immense majorité de la population ».
Vers le Forum social mondial 2024 à Katmandou
Enracinée dans des organisations fondatrices des mouvements altermondialistes, l'UÉMSS n'a pas manqué d'aborder les démarches pour les Forums sociaux à venir. Un Forum social mondial thématique sur les intersections est ainsi prévu en mai 2025 à Montréal. Le 16e Forum social mondial, quant à lui, aura ainsi lieu du 19 au 25 février 2024 à Katmandou pour poursuivre le combat des idées. D'ores et déjà, 400 réseaux, organisations et mouvements sociaux de différents pays asiatiques appellent à y participer. L'université d'été fera une pause l'an prochain. Les Jeux olympiques rendront impossible la tenue d'un tel événement populaire. Prochain rendez-vous en août 2025.
[1] Des méga réserves d'eau qui, entre autres problèmes qu'elles créent, pompent d'eau de nappes souterraines.
Alice Galle est chargée de mission ECSI et formation au CRID. Ronald Cameron est animateur du Journal des Alternatives/Plateforme altermondialiste.
Photo : UEMSS
POUR EN SAVOIR PLUS : Louise Nachet, « France : La bataille de Sainte-Soline », À bâbord !, no 97, automne 2023. Disponible en ligne.