
En dépit des pics et des vallées observés ces dernières années, il est évident que nous assistons actuellement à un retour en force de l'extrême droite un peu partout en Occident. Que faire ?
Le collectif Montréal Antifasciste (MAF) s'est constitué au printemps 2017 en réaction directe aux discours xénophobes et islamophobes décomplexés portés dans l'espace public par des organisations nationales-populistes, comme La Meute, et des formations franchement néofascistes, comme Atalante Québec. Au cours des années suivantes, le collectif a exercé une veille constante de ces courants et de ses protagonistes, cartographié l'extrême droite québécoise et exposé au public un certain nombre d'individus et de groupuscules fascistes et néonazis, en plus de publier périodiquement sur son site Web [1] des analyses de la conjoncture et des synthèses sous forme d'état des lieux. Bien que MAF se soit en même temps employé à coordonner de nombreuses mobilisations pour faire barrage aux fachos, le travail de veille et d'information est devenu au fil des ans l'activité centrale du groupe.
À l'origine, l'intention explicite, formulée notamment à l'occasion d'une assemblée de fondation à l'été 2017, était de sortir des circuits militants habituels dans un effort de « construction d'un mouvement ». MAF a toujours insisté sur l'importance de tendre collectivement vers une extension de l'action antifasciste. Nous en sommes arrivé·es à la conclusion qu'avant d'envisager la constitution d'un mouvement antifasciste dit « de masse », les mouvements progressistes (féministes, syndicaux, queers, de défense des droits, etc.) doivent nécessairement assumer pleinement leur caractère antifasciste, et agir en conséquence de manière soutenue.
Pour ça, il faut dans un premier temps reconnaître la nature et l'imminence de la menace.
Ressacs
L'actualité récente aux États-Unis, au Canada et au Québec ne laisse aucun doute : l'extrême droite remonte en Occident. Des partis d'extrême droite participent déjà aux gouvernements dans plusieurs pays d'Europe, en Israël, en Inde et ailleurs dans le monde. Donald Trump mène actuellement dans les intentions de vote aux États-Unis ; idem pour le Parti conservateur du Canada, qui a pris un virage de droite populiste aux accents extrémistes sous le leadership de Pierre Poilievre. Dans la province, le Parti conservateur du Québec est parvenu à faire une percée sous la houlette d'Éric Duhaime, qui a fait revivre ce parti moribond en lui injectant un cocktail toxique de libertarianisme et de confusionnisme plaisant particulièrement aux courants complotistes.
À la faveur des multiples crises imbriquées, les mouvements complotistes ont accéléré au cours des dernières années leur rapprochement naturel avec l'extrême droite. Les adeptes des fantasmes de complot ont notamment charrié jusqu'ici les obsessions des « fascistes américains », lesquels exercent une influence de plus en plus forte sur la politique institutionnelle de nos voisins du sud. Ces réseaux fondamentalistes, qui prônent une théocratie chrétienne, s'emploient à éliminer systématiquement les droits acquis au fil des décennies par diverses populations marginalisées, en particulier par le mouvement des femmes et les mouvements pour la libération et la protection des minorités sexuelles et de genre. C'est dans ce mouvement de fond que s'inscrivent celleux qui, ici et ailleurs au Canada, mènent depuis des mois une croisade pour diaboliser les communautés queers et trans, notamment en s'opposant aux lectures du conte en drag et à l'éducation sexuelle de manière générale.
Puis il y a les nazis, qui reviennent dans l'actualité… Pour l'essentiel, les fascistes et les nazis d'ici sont encore endigués, mais comme nous le démontrons dans notre État des lieux de l'extrême droite au Québec en 2023 [2], ces courants trouvent toujours le moyen de se reformer dans l'ombre pour contester leur effacement de l'espace public. C'est ce qu'illustre le cas récent d'Alexandre Cormier-Denis, l'histrion raciste qui a réussi à promouvoir sa marque de commerce en se faisant inviter, puis désinviter des audiences de la commission parlementaire sur l'immigration à Québec, et qui s'inscrit en plein dans ce renouveau ethnonationaliste aux accents fascistes. On retrouve ici des idéologues et groupuscules d'inspiration fasciste et ultracatholique qui cherchent à réhabiliter un nationalisme ethnique canadien-français, avec tout ce que cela implique de recul social, en particulier pour les femmes, les personnes immigrantes et les minorités.
Il y a bien sûr lieu de s'inquiéter de cette conjoncture, mais au-delà de la peur légitime, il faut agir concrètement.
Normaliser l'antifascisme
L'antifascisme radical, comme tous les mouvements jugés radicaux, a parfois des rapports tendus avec les mouvements sociaux, mais il en a toujours fait intégralement partie et a toujours eu un rôle (souvent ingrat) à y jouer. En réalité, ces fameux « antifas » de caricature sont parmi vous : iels participent aux mouvements populaires pour la défense des droits, militent dans les syndicats, travaillent ou s'impliquent bénévolement dans les comités de quartier, le milieu communautaire et ailleurs dans la « société civile ». Ce sont vos collègues, parents et camarades de lutte et de vie. Vous en croisez probablement tous les jours.
Il est utile à cet égard de rappeler que l'antifascisme occupe en fait une position d'arrière-garde, c'est-à-dire qu'il remplit discrètement son rôle spécifique – soit de débusquer et de combattre l'extrême droite par tous les moyens nécessaires. L'objectif est de défendre des mouvements sociaux qui, chacun à leur manière et dans leur créneau propre, font tendre la société tout entière vers la justice sociale et l'égalité économique, mais aussi vers l'antiracisme, le féminisme et l'anticolonialisme. S'il n'y a pratiquement plus de fascistes et de néonazis dans les rues à Montréal depuis les années 1990, si les communautés traditionnellement victimisées par l'extrême droite peuvent y vivre relativement à l'abri de la menace qu'elle faisait jadis peser, et si les organisations progressistes peuvent accomplir leur mandat sans craindre d'être ciblées, c'est en partie parce qu'un patient et rigoureux travail a été effectué et maintenu pour chasser les fascistes de nos rues et de nos espaces. On oublie trop facilement que Montréal est l'une des rares villes de cette importance au monde où une telle situation prévaut, et cela est dû en grande partie aux antifascistes et à leurs méthodes parfois controversées.
L'antifascisme est avant tout un cadre de référence et une praxis que chacun·e de nous doit assumer là où iel se trouve, dans nos milieux de travail, d'étude et de vie, nos quartiers, nos espaces associatifs et culturels. Si tout le monde n'a pas la possibilité de s'engager directement dans l'action antifasciste, tout le monde peut en revanche en faire valoir l'importance dans ces milieux, y combattre les préjugés à son égard, diffuser l'information qu'elle produit et diriger des ressources vers les organisations antifascistes et alliées lorsque cela est possible.
Le vent de droite souffle fort à nos portes, de plus en plus de politicien·nes s'y montrent sensibles, et les mouvements réactionnaires prennent du galon. Les multiples crises qui s'exacerbent ne pourront qu'encourager ce mouvement, jusqu'au cœur même du système capitaliste et des États qui le maintiennent artificiellement en vie. Nous croyons que l'autodéfense populaire, la nécessaire résistance aux forces de l'extrême droite, est le seul rempart possible, et que ce rempart dépend entièrement de celleux qui adhèrent encore radicalement aux valeurs de justice et d'égalité.
Il nous incombe plus que jamais d'agir en conséquence, tous les jours.
[1] montreal-antifasciste.info/fr/
[2] Disponible en accès libre sur notre site Web : montreal-antifasciste.info/fr/2023/06/27/etat-des-lieux-lextreme-droite-au-quebec-en-2023/
Illustration : Alex Fatta