Covid-19 : Individualisme et solidarité, une fausse opposition

21 septembre 2025 | Josiane Cossette, Julien Simard

La pandémie de COVID-19 n'est pas terminée. Alors que les vagues continuent de se succéder et que les variants sont si multiples qu'on a cessé de les dénombrer, les mêmes dynamiques rhétoriques et sociales de division simpliste entre les obéissant·es et les irresponsables continuent d'avoir cours.

Notre époque est quotidiennement qualifiée de « polarisante », comme si les débats de société opposaient inéluctablement deux extrêmes dichotomiques, irréconciliables et ontologiquement hétérogènes.

Lors de la pandémie, on a ainsi voulu opposer les « complotistes » aux confineur·euses à tous crans, les alarmistes aux minimizers, les habitant·es des villes à celleux des régions, les provaccins aux antivax, les solidaires aux individualistes, et ainsi de suite. Or, on ne divise pas les attitudes de la population face à des catastrophes ou des mesures sanitaires drastiques comme on coupe un gâteau : une telle analyse ferait bien piètre figure en anthropologie de la santé. Non seulement le trait entre ces deux pôles imaginés est-il difficile à tracer, la division en elle-même n'a pas de sens. Pourquoi donc ?

Une polarité hautement absurde

On ne saurait classer les gens entre les bons élèves « solidaires » et les mauvais élèves « individualistes » en se basant sur leur observance de mesures sanitaires elles-mêmes hautement contestables. En effet, les mesures imposées au Québec par le gouvernement Legault n'ont jamais été adossées aux consensus scientifiques et à l'efficacité épidémiologique. Elles étaient plutôt marquées par un découplage troublant avec la réalité empirique et la manière dont se comporte ce virus. Ces divisions morales binaires entre solidaires et individualistes sont des discours politiques, instrumentalisés pour répondre à des buts précis – souvent électoralistes –, mais qui n'ont souvent aucun lien avec le risque réel de transmission. C'est donc comme si, en voulant fonctionner à travers cette grille de lecture simplifiée des comportements, basée sur l'obéissance, on avait carrément oublié le virus lui-même, qui n'a guère d'opinion là-dessus. Tout ce qu'il veut, c'est se reproduire : cela lui importe peu que ce soit parce qu'on ne suit pas les règles ou bien parce qu'on les suit aveuglément.

On ne peut pas, en particulier, mesurer la solidarité d'une personne ou d'un groupe en fonction de l'obéissance aux règles ayant été imposées durant la première phase de la pandémie. Le couvre-feu, notamment, est une mesure-choc qui ne s'est absolument pas montrée efficace pour réduire la transmission de la COVID-19 et qui a par ailleurs empiré l'état psychosocial et la prévalence de comorbidités parmi des pans entiers de la population [1]. Il en va de même d'autres règles, telles que l'interdiction de voir, à l'extérieur, des individus n'appartenant pas à sa bulle familiale. Rendre visite à un·e proche vieillissant·e sur son balcon contribuait à briser l'isolement – qui est un déterminant social majeur de la santé des personnes âgées – et ne comportait à peu près aucun risque épidémiologique. La transmission de la COVID-19 est aérienne, essentiellement aérosolisée et favorisée dans des espaces intérieurs clos et/ou mal ventilés. Ainsi, les personnes qui désobéissaient à cette consigne défiant la science – et qui risquaient des contraventions onéreuses – n'étaient pas individualistes : elles étaient tout à fait solidaires !

« Vivre avec le virus », c'est d'abord le comprendre. Or, le gouvernement Legault a donné très peu de clés de compréhension à cet égard.

Autoritarisme et subjectivité citoyenne

Le gouvernement ayant opté pour une approche très autoritaire et basée dans la sécurité publique, les termes de l'équation entre solidarité et individualisme étaient nécessairement faussés.

Les appels à la délation, comme celui de Valérie Plante le 17 décembre 2020, ainsi que diverses pratiques de snitching, de surveillance mutuelle ou de stigmatisation des pratiques des jeunes furent ainsi légion, même « à gauche ». Pourquoi ? En quoi cela était-il « solidaire » ? C'est plutôt un appel à la guerre de tou·tes contre tou·tes, d'autant plus impertinent quand on se souvient que les sources principales de transmission du virus étaient alors plutôt les milieux de travail, les écoles et les hôpitaux eux-mêmes, tous encore ouverts, et non les « mauvais » comportements individuels.

Bref, ce n'est pas vraiment de la solidarité, c'est plutôt qu'il fallait « faire corps » peu importe les justifications, peu importe les résultats ou l'état de la science, on verra plus tard. Tout le monde devait aller dans le même sens : celui du respect des consignes. Être un·e « bon·ne citoyen·ne », c'était (et c'est) donc suivre les règles, peu importe si ces dernières sont efficaces ou non, pour répondre au but supposément visé, soit « sauver des vies ».

Ne nous méprenons pas : cela devrait toujours être l'objectif, mais le problème c'est justement que nous étions bien loin du compte.

Davantage que n'importe quoi, la gestion de la COVID-19 au Québec fut une gigantesque entreprise pour garder l'économie ouverte – en d'autres termes, un bail out structurel – et non un mouvement général visant réellement à empêcher la transmission ou les effets délétères du virus parmi la population. Si tel avait été le cas, la transmission aérienne nous aurait été bien expliquée, les purificateurs d'air n'auraient pas été proscrits dans les classes, et le gouvernement aurait investi massivement dans la réfection des systèmes de ventilation de son parc immobilier. De réels efforts auraient été faits pour empêcher la transmission, qui laisse dans son sillage 10 % de cas de COVID longue durée, qui garde à la maison d'indispensables profs, médecins, infirmières, préposé·es aux bénéficiaires dans un contexte criant de pénurie de main-d'œuvre. Plus encore, jamais il n'aurait été interdit de se voir à l'extérieur, les rassemblements dans les parcs n'auraient pas été démonisés, les manifestant·es n'auraient pas reçu d'amendes salées.

Des personnes ayant eu l'impression d'être « solidaires » car elles respectaient à la lettre les préceptes à gogo de la cellule de crise réunie autour de Legault ont donc pu se comporter, dans les faits, à l'antithèse exacte de cette solidarité. En allant, par exemple, au travail ou à l'école, et en dînant sans masque dans une petite pièce fermée, elles ont pu contaminer des gens possiblement vulnérables et contribuer à envenimer la situation épidémiologique. Mais à ce niveau, la faute « morale » ne doit pas être plaquée sur les individus. On change d'échelle : pourquoi les gouvernements n'ont-ils pas voulu et ne veulent-ils pas mettre en place les conditions qui permettraient de réellement réduire la prévalence de la COVID-19, que ce soit grâce à des capteurs de CO2 déployés partout, à la promotion active des masques KN95, plus efficaces que les masques de procédure qui pendouillent, ou encore en diffusant plus largement les résultats des analyses de la présence du virus dans les eaux usées ? Tout indique que les coûts d'amélioration des infrastructures seraient trop élevés pour le gouvernement.

Comment nourrir la solidarité

Au fond, c'est justement la solidarité qui a été bloquée par les mesures autoritaires. Le Québec a été champion de la répression au Canada.

Si nous avions été solidaires jusqu'au bout, une mobilisation populaire aurait pu décider d'arrêter le travail pour nous concentrer sur l'adaptation de nos environnements à ce virus qui n'est pas près de disparaître. Et aujourd'hui encore, l'absence de commission d'enquête ou de réflexion scientifique d'envergure pour revenir sur ces décisions et ces discours nous prive d'une importante agentivité politique.

Alors, que voudra dire agir « solidairement » dans un contexte de risque sanitaire accru dans les prochaines années ? Principalement, adopter les préceptes de la réduction des méfaits et ne plus succomber à la tentation du déni. Le retour à la normale (capitaliste – work hard, play hard) est séduisant, mais la COVID est un virus complexe dont les conséquences sur le corps humain dépassent largement la phase aiguë. Et pour l'heure, une infime partie des ravages pointe à la surface.


[1] Voir les analyses de Julien Simard et d'Emma Jean réunis sur le site Web https://couvrefeu.net

Josiane Cossette est rédactrice indépendante et collaboratrice, Point de vue, Le Devoir. Julien Simard est gérontologue social.

Photo : Miguel Tremblay (CC BY 2.0)

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